Making-of de TITAN A.E.

Interview des deux réalisateurs de Titan A.E. : Don Bluth et Gary Goldman, par le magazine Ciné Live lors de la sortie du film dans le numéro 40 (novembre 2000).

Un documentaire vidéo est également téléchargeable sur ce site, en cliquant ici (format MPEG).
le réalisateur Don Bluth Gary Goldman réalisateur de Titan AE
CinéLive : Vous avez choisi un plan dans les cristaux de glace pour illustrer votre travail sur Titan AE. Pourquoi ?
Don Bluth : Parce que c'est là qu'à lieu l'une des nombreuses courses-poursuites du film, et que c'était une des séquences les plus difficiles à réaliser en raison des nombreux reflets exercés par les météorites de glace. Beaucoup de scène ont été extrèmement compliquées à faire aboutir, mais celle-ci concentre vraiment toutes les complications : l'aspect de la glace, la forme des cristaux et leur perspective, les reflets des vaisseaux, mais aussi les reflets de cristaux entre eux...
Gary Goldman : C'était un véritable casse-tête pour tout le monde, à tous les stades de la fabrication !

C.L. : La séquence évoque aussi la scène finale de la Dame de Shangaï d'Orson Welles, lors de l'affrontement dans le palais des glaces, où même le spectateur ne sait pas s'il voit le reflet de l'un des personnages ou le personnage lui-même. Etait-ce votre référence ?
D.B. : A priori non, mais maintenant que vous en parlez, je reconnais que la similitude est troublante. En tout cas, ce n'était pas délibéré. Il y a sans doutes des références dans Titan AE, mais certaines d'entre elles sont inconscientes, elles font juste partie de notre bagage cinématographique. Vous savez, je ne suis pas sûr que l'on puisse encore inventer grand-chose en termes de mise en scène ou de scénario. Si vous y réfléchissez bien, la carte d'une planète merveilleuse qui apparaît dans la paume de Cale, le héros, renvoie à l'histoire de l'île au trésor. D'autre part, le Titan, le vaisseau que recherche Cale, contient des réserves de l'ADN de toutes les espèces animales, qui permettront de créer une nouvelle planète et de sauver l'humanité : là, on est en plein dans le mythe de l'Arche de Noé, dont Douglas Trumbull s'est inspiré pour Silent running et ainsi de suite... Il n'y a pas moyen d'échapper aux références, il faut se faire une raison !

C.L. : La référence la plus flagrante reste néanmois Star Wars. Lorsqu'on voit le jeune Cale et son mentor Korso contempler l'univers par la fenêtre d'un immense vaisseau, on ne peut qu'y penser.
G. G. : On peut y voir une version sombre de Star Wars, c'est vrai. Mais Star Wars est plutôt léger, alors que Titan AE commence dans la légèreté pour s'enfoncer lentement dans une énergie obscure.
D.B. : Quand on a commencé le film, je n'y connaissais rien en science-fiction. Mais seules références en la matière se limitaient à la série télé "Star Trek", aujourd'hui d'un kitsch absolu et à la trilogie Star Wars. Pour me mettre dans le bain, j'ai regardé beaucoup de films SF et j'en suis arrivé à la conclusion qu'il fallait éviter de copier ce qui existait déjà. Même si un vaisseau spatial va forcément rappeler d'autres vaisseaux, on a tout fait pour innover visuellement. Pour nous aider, on a recruté deux spécialistes de SF, des types qui avait tout vu, tout lu. Dès que j'avais une idée, je la leur soumettais et ils devaient me dire si ça avaient déjà été fait quelque part. Si oui, j'abandonnais l'idée. Evidemment, ils n'arrêtaient pas de me dire : "Ah non, ça c'est dans tel film". C'en était désespérant ! Donc même si une scène ou un personnage vous évoquent quelque chose, il y aura au moins, dans le film, un retournement de situation, un gimmick qui fera que finalement, ça n'a plus rien à voir.
la Terre détruite dans Titan AE
C.L. : Mais ce n'est pas forcément un défaut, la référence visuelle induit la familiarité...
G. G. : C'est vrai que, dans un sens, ça rassure le spectateur de se sentir confusément en terrain connu. Et nous, ça nous rassure qu'il soit rassuré ! D'autant qu'avec Titan AE, on prend un très gros risque. C'est le premier film d'animation américain destiné aux adolescents. Au japon, c'est devenu commun, mais aux Etats-Unis, c'est un véritable challenge. Ca paraît incroyable qu'aujourd'hui les dessins animés soient toujours assimilés aux films pour enfants. Il était tant de changer ça, mais encore fallait-il qu'un studio accepte de prendre un tel risque. Un film d'animation représente des années de travail et un budget considérable... On a fait le maximum pour essayer de comprendre ce qui plairait aux jeunes dans un film d'animation. Ca va de l'aspect "film d'action avec gros plans spectaculaires" au montage syncopé façon jeux vidéo, en passant par la conception des personnages : leurs vêtements, leur vocabulaire, leurs caractéristiques physiques devaient représenter la quintessence du monde contemporain selon les adolescents. Par exemple, le tatouage de Cale est typique de notre époque. En l'occurrence, il représente une sorte de défi à l'autorité pour Cale. Ce tatouage symbolise sa colère, l'abandon de ses parents.

C.L. : Vous avez beaucoup travaillé sur le symbolisme en général, particulièrement sur la couleur...
G. G. : Notre directeur artistique est irlandais. Pour lui, les couleurs doivent avant tout être appropriées à la scène, à l'ambiance, elles doivent aider à exprimer une aider, un sentiment. Don, lui, connaît très bien les effets de la couleur et leur influence sur le spectateur. Tout compte, dans un film d'animation, pour traduire une émotion.

C. L. : Plusieurs séquences spectaculaires pourraient rivaliser avec des séquences de films de science-fiction reconnus. Est-ce que vous avez envisagé Titan AE comme un long métrage avec de vrais acteurs et de vraies... maquettes ?
D.B. : A l'origine, le scénario était effectivement conçu pour un film en images réelles. Ensuite, il a été retravaillé pour être réalisé en animation, puis les deux premiers réalisateurs prévus au départ ont quitté le navire et quand Gary et moi avons repris le projet, il y a eu tellement de modifications que le script que nous avons finalement animé n'avait plus rien à voir avec l'original. Une bonne quinzaine de scénaristes sont intervenus, Gary et moi y avons mis notre grain de sel, jusqu'au dernier stade il y a eu des changements, des améliorations. Cependant, je pense qu'il serait toujours possible de transposer Titan AE en film "live". George Lucas le ferait sans problème, mais le film n'aurait sans doute pas le même message. Je pense que l'animation est un genre à part entière, qui possède sa propre forme et lorsque vous changez la forme, vous changez aussi le fond. C'est parce que Titan AE est un film d'animation qu'il est ce qu'il est, avec un feeling particulier, des thèmes particuliers.

C. L. : C'est une nécessité selon vous de transmettre un message ?
G. G. : Selon moi, chaque histoire devrait avoir la force d'une fable. Le but est aussi d'apprendre quelque chose au spectateur, quel que soit son âge.
D. B. : Il ne faut pas que ça se transforme en sermon pour autant, l'essentiel est de garder le côté conte de fée. Or on n'explique pas un conte de fée à un enfant, sinon on gâche son plaisir. Dans Titan AE, on a joué avec les symboles pour faire passer un message d'espoir en douceur, sans essayer de donner de leçons, surtout pas aux adolescents qui sont rebelles à ce genre de choses. C'est aussi ce qui a fait le succès de Star Wars, qui est un gigantesque conte de fée, une initiation à l'âge adulte qui a marqué toute une génération.
Dans Titan AE, Korso devient un père pour Cale
C. L. : Comment définiriez-vous l'univers visuel du film ?
D. B. : Je dirais que c'est dans l'esprit comic-book, avec un style plus sombre, plus adulte que d'habitude, totalement différent de ce que vous avez vu dans les films d'animation. Environ 65% de Titan AE est constitué d'images générées par ordinateur, auxquelles s'ajoutent des dessins traditionnels. C'est ce cocktail qui était intéressant à réaliser.

C. L. : A-t-il été difficile, précisément, de parvenir à ce "cocktail" ?
G. G. : En fait non, parce que nous nous y sommes mis progressivement. La première fois que non avons essayé la 3D, Don et moi, c'était pour Charlie, un long métrage réalisé en 1987-88. Le défi pour notre département 3D consistait justement à faire en sorte que la 3D ressemble à la 2D, mais avec une plus grande dimension. C'était important pour l'harmonie du film, pour qu'on ne dise pas soudain : "Tiens, ça c'est de la 3D". Il s'agissait d'enlever le côté immédiatement identifiable de la 3D et de lui donner un look traditionnel, au point que l'on ne sache plus faire la différence entre les deux.
D. B. : Les images générées par ordinateur sont précieuses parce qu'elles permettent justement des plans incroyables de véracité, qu'on aurait jamais pu rendre avec des dessins traditionnels. Elles font gagner beaucoup de temps, également. A la périodes des cellulos, ça prenait des jours avant qu'on sache ce que donnait au final le mouvement qu'on avait patiemment élaboré. Aujourd'hui, ça prend un quart d'heure. Mais même si l'animation par ordinateur est une technique extraordinaire, je pense qu'il ne faut jamais éliminer l'animation traditionnelle. D'abord parce que celle-ci est la base de tout, ensuite et surtout parce qu'elle donne un cachet incomparable à un film, qu'elle le rend plus humain, plus authentique, plus chaleureux. Et c'est exactement ce que reflète Titan AE : qu'elle que soit notre avancée technologique, rien ne viendra jamais à bout de notre humanité...

anecdotes et informations inédites sur Titan AE

Titan A.E. a coûté $75 millions à réaliser mais n'aura rapporté que $36 millions lors de son exploitation mondiale dans les salles.
Titan A.E. est sorti aux Etats-Unis le 16 Juin 2000.
Titan A.E. est sorti en France le 18 Octobre 2000.
Après l'échec de Titan A.E. au cinéma, la 20th Century Fox du fermer ses studios d'animation de Phoenix, en Arizona.